Sur l'occupation de l'amphi C à Lyon 2 en hiver 2017

15 Mar 2018

Lors du mois de novembre 2017 à Lyon, deux évènements de grande importance politique se produisirent à quelques jours d'écarts. Devant la gare Part Dieu, des réfugié·e·s abrité·e·s sous l'allée couverte d'un hôtel se font expulser et se retrouvent sous la pluie. Quelques jours plus tard, des étudiant·e·s décident d'occuper un amphithéâtre de l'université Lyon 2 en opposition aux réformes universitaires. Les réfugié·e·s vont rejoindre les étudiant·e·s à la fac pour une occupation qui durera cinq semaines.

Cet article n'est pas un exposé chronologique des évènements mais une première tentative de réflexion sur tout ce que cette occupation a pu créer comme enjeux politiques et organisationnels, comme perspectives de luttes, comme tensions et comme amitiés. Le but est d'être objectif sur les réussites et les échecs de l'occupation pour en tirer le plus d'enseignements et préparer les luttes à venir. Je vais commencer par résumer le contexte sociopolitique autour des demandeurs et demandeuses d'asile et des étudiant·e·s sur Lyon, puis présenter l'organisation de la vie à l'amphi C et comment les deux luttes se sont articulées entre elles et les rapports sociaux observés. Pour être tout à fait franc ça risque d'être un peu relou et déprimant mais j'estime que c'est un travail qui aura un peu d'utilité.

Par souci de clarté concernant les genres des personnes désignées, les groupes mélangeant hommes et femmes sont marqués d'un point médian (·), tandis qu'une majuscule sert à accentuer le caractère « homogène » d'un groupe (e.g. étudiantE ne désigne qu'une étudiante de genre féminin).

Contexte sociopolitique autour des réfugiés

Dans l'après-midi du vendredi 10 novembre 2017, les réfugié·e·s de la Part Dieu se font expulser de leur abri de fortune et les chiens de la métropole soudent des grilles à sens unique pour les empêcher de s'y réinstaller, sous l'œil vitreux de la police municipale et des patrouilles vigipirate. Des hommes, des femmes dont une enceinte, des mineurs et des jeunes enfants se retrouvent sous la pluie, et pour ceux qui n'était pas là dès le début de l'intervention, leurs affaires sont indistinctement jetées à la benne : matelas, couvertures, vêtements, mais également documents officiels, photos et médicaments. Avec un ton faussement compréhensif, le responsable de l'hôtel présent sur les lieux garantit a un réfugié n'ayant plus que son sac à dos qu'il va demander où sont passées ses affaires ; il ne les reverra évidemment jamais. Parmi les témoins sur place, des voisin·e·s qui les ont aidé durant les mois précédents, des membres d'association, des étudiant·e·s et des militant·e·s. Certains essaieront jusqu'au milieu de la nuit de lever des fonds auprès des passant·e·s pour payer aux familles une chambre d'hôtel pour le week-end.

Les réfugié·e·s, en particulier à Lyon, subissent le harcèlement quotidien de la police et une maltraitance morale de la préfecture et de la métropole. Par intersectionnalité iels subissent, en plus de la précarité et du racisme, l'humiliation de devoir prouver sans fin les raisons de son exil, les tortures subies, ou simplement sa minorité, tout en étant confronté à la procédure Dublin et aux OQTF. Depuis quelques années et cet hiver tout particulièrement la situation est catastrophique : les institutions les abandonnent plusieurs mois avant de leur remettre, pour la grande majorité d'entre eux, une OQTF ; les associations croulent sous la demande de besoins urgents et tous leurs plans d'hébergements sont épuisés depuis des mois ; le 115 est saturé et ne fournit quasiment plus aucun service matériel, quand il ne collabore pas avec les autorités pour identifier les réfugié·e·s ayant été débouté·e·s de leur demande d'asile.

Les MIE ne bénéficient pas toujours d'un meilleur sort. Iels sont censé·e·s être pris·es· en charge par la métropole, mais certain·e·s sont baladé·e·s d'hôtels en foyer, quand iels ne restent pas simplement à la rue. Iels n'ont pas d'argent et sont souvent placé·e·s à plus d'une heure de leur école, lorsque le proviseur est suffisamment empathique pour ne pas les avoir viré à la première absence. Pour se délester du maximum de mineurs à prendre en charge, la métropole en accuse arbitrairement certain·e·s d'être majeur·e·s même lorsque leurs documents montrent le contraire. Il leur faut alors prendre un avocat et passer devant le juge des enfants pour forcer l'institution à les reprendre en charge au moins pour le logement. Ce à quoi la métropole répond par des tests osseux dont le manque alarmant de fiabilité a été reproché par l'académie nationale de médecine1.

Le gouvernement Macron ne compte pas pour autant se priver de ces tests, les défendant toujours fin 2017 à l'assemblée nationale2. Derrière le voile pitoyable du renouveau du « centre », ils appliquent une politique sensiblement similaires aux gouvernements conservateurs hostiles aux minorités. Les ONG dénoncent l'hypocrisie totale des discours tenus par Macron3, pendant que Collomb compare les associations humanitaire à l'ex-URSS4. La volonté politique est claire : il faut rendre les réfugié·e·s invisibles, par des traques policières permanentes, par un maintien dans la misère via les institutions. Les seuls répits accordés seront, et toujours au compte-goutte, aux familles avec jeunes enfants, parce que voir des enfants à la rue est probablement la limite de rupture avec l'électorat. Cette politique a pour but de couper le flux migratoire des réfugié·e·s, présenté avec paranoïa par les chiens de garde comme nouvelle crise migratoire et alimentant les théories fleuries du « Grand Remplacement », en maintenant leur niveau de vie si bas que la perspective de retourner dans la misère ou la guerre au pays ne leur semble plus si inadmissible.

Contexte sociopolitique autour de l'université

occupation

Le mercredi 15 novembre, une trentaine d'étudiant·e·s débutent l'occupation de l'amphi C du campus de Bron de l'université Lyon 2. Iels s'opposent aux réformes universitaires, notamment à l'IDEX5, poussant toujours plus le néolibéralisme à la fac, à savoir l'instauration historique de sélection à l'entrée de l'université là où un baccalauréat a toujours suffit, à l'augmentation des frais d'inscription, à la surveillance des boursiers, et la métamorphose fantasmée par les dominants de l'objectif d'une université qui n'est plus d'apprendre à pratiquer une science mais de « s'insérer dans le marché du travail ».

L'université Lyon 2 est réputée comme étant la « fac de gauche » de la ville, en opposition aux autres universités, notamment à Lyon 3 qui est historiquement destinée à suivre les réactionnaires6. Pourtant cela faisait plusieurs années qu'une occupation aussi fortement politique et sur plus d'un mois avait eu lieu, le mouvement étudiant contre la loi El Khomri se cantonnant surtout aux manifestations. Comme la plupart des universités progressistes en France, elles subissent depuis une bonne décennie une sévère dépolitisation de son corps étudiant dont les causes sont multiples : la progression de l'idéologie néolibérale et individualiste, la chute libre de toutes les structures politiques institutionnelles de gauche, la gestion de crise comme modèle de gouvernement, le salariat comme perspective unique d'épanouissement, la dépression comme norme de santé mentale.

Les derniers mouvements sociaux étudiants massifs remontant à la réforme des retraites, plus de 5 ans séparent cette occupation des précédentes : la dernière génération d'étudiant·e à avoir réellement occupé une fac a aujourd'hui fini ses études et la génération actuelle doit donc redécouvrir la totalité de ce qu'implique une occupation.

Comme des étudiant·e·s étaient présent·e·s lors de l'expulsion des réfugié·e·s et certain·e·s suivaient leur situation depuis, iels furent invité·e·s à participer à l'AG étudiante pour s'exprimer, et lorsque l'occupation fut décidée iels restèrent naturellement tout le long de la soirée. L'amphithéâtre pouvait leur servir d'abri et leur permettre de communiquer leur détresse. La première soirée se fit donc à une centaine de personnes dans l'amphi C, à peu près autant d'étudiant·e·s que de réfugié·e·s. Il y avait des pâtes, un micro pour prendre la parole, des enfants qui jouent, certains restèrent à parler et écrire des communiqués jusqu'aux aurores pendant que les autres dormaient à même le sol ou sur des cartons, leur première nuit de court sommeil de cinq semaines d'occupation.

Vie à l'Amphi C

groupe

Je vais ici décrire comment j'ai perçu l'implication des différents groupes dans l'organisation de la vie courante, sur des questions tout à fait concrètes comme l'approvisionnement en nourriture et le nettoyage, leur rapport à cette implication, pour finir par un point sur les problématiques de santé.

On peut dors et déjà regrouper les principaux acteurs de l'occupation dans les groupes suivantes :

Implications des différents groupes dans l'organisation de la vie

Comme avec tout groupe étudiant militant de bonne volonté, l'organisation de l'occupation s'est faite autour des AG. Si les étudiant·e·s sont plus ou moins habitué·e·s à ces réunions, ou en tout cas en saisissent rapidement les codes, les réfugié·e·s ont mis un certain temps avant d'y participer et n'y prendront jamais la même place que les étudiant·e·s. Leur silence, leur absence majoritaire aux convocations et leur abstention aux votes lors des premières AG étaient perçues comme problématique par les étudiant·e·s, dont la crainte était pour beaucoup de récupérer involontairement leur lutte ou de procéder autoritairement dans la prise de décision sans leur approbation directe.

Cette timidité première ne peut s'expliquer entièrement par une absence de volonté ou de politisation des réfugié·e·s, une partie étant pleinement consciente de la catégorie sociale qu'iels forment en France. Quelques un·e·s se revendiquent même comme réfugié·e·s politiques, ayant été mis en danger de mort dans leur pays à la suite d'activités militantes. Plus pragmatiquement, quand le principal souci d'une personne ces derniers mois a été de savoir si elle allait manger ce jour là ou si les flics n'allaient pas encore la dépouiller, on peut peut-être comprendre une certaine circonspection devant la nécessité de voter s'il faut constituer des listes de groupes d'activité par jour ou par semaine pour faire la cuisine et le ménage.

Parmi les militant·e·s présent·e·s, étudiant·e·s ou extérieur·e·s, cette occupation a semblé être une occasion rêvée de mettre en place des principes d'autogestion chers à une majorité d'entre nous. Il allait falloir se débrouiller pour trouver de la nourriture et des vêtements, cuisiner, nettoyer, vivre en promiscuité et simplement passer le temps ensemble. Nos lectures anarchistes et communistes ont tout de suite orienté le modèle d'organisation vers une dynamique autogestionnaire, où tout le monde participerait un peu à ceci ou cela de façon égale et tout se passera pour le mieux. Il est déjà intéressant de constater qu'à aucun moment les réfugié·e·s ne se prononcèrent pour ou contre ce modèle organisationnel car il fut imposé par les autres groupes occupants, et iels firent avec car iels n'avaient de toute façon pas beaucoup d'autres choix. Cette réserve s'explique plus simplement par leur absence d'intérêt dans la participation à une micro-société autogérée ; pour la plupart, iels étaient venu en Europe se vendre au capital pour leur sécurité et pour ramener de l'argent au pays, pas pour planifier l'insurrection qui vient, aussi convaincants nous puissions être.

Les réfugié·e·s se prirent tout de même vite au jeu des AG et passés les premiers jours, iels participèrent plus régulièrement, exprimant de plus en plus clairement leurs idées, leurs souhaits et leur craintes. Iels formèrent d'ailleurs à plusieurs reprises leurs propres AG en non-mixité, sans les étudiant·e·s, pour débattre entre elles et eux. Certain·e·s prirent régulièrement des initiatives de nettoyage, de préparation de repas et de discussions pour tenir l'occupation bien vivante.

Répartition des tâches

La répartition des tâches de la vie de tous les jours avait beau faire beaucoup de bruit dans les AG, elle s'organisait assez naturellement, avec quelques rappels à l'ordre tout de même. Par naturellement j'entends deux choses : qu'elle n'était pas une source incontrôlable de conflits d'une part, mais aussi qu'elle reproduisait les mécanismes de division du travail contre lesquels nous luttions habituellement d'autre part. De mes observations, la division genrée et entre le groupe étudiant / réfugié du travail était la suivante :

Les rappels à l'ordre concernèrent d'une part l'absence d'une partie des réfugié·e·s dans les tâches quotidiennes, car seule une minorité se sentait véritablement concernée par la nécessité de partager les tâches ; d'autre part les étudiants qui faisait les intéressants en AG mais qu'on ne voyait jamais faire la cuisine ou la vaisselle.

Rapports des groupes à l'occupation

Il est intéressant d'analyser les rapports qu'ont chacun de ces groupes à l'occupation en tant que telle, une ébullition éphémère de discussions, de situations et de problèmes.

Une majorité de réfugié·e·s n'était pas présente la journée, ayant des rendez-vous ou autre chose à faire en ville ou chez des amis, et revenait passer la soirée au chaud à l'amphi. Les étudiant·e·s étaient présent·e·s soit en permanence, parfois moins lors de leurs cours, soit par intermittence en prenant des jours de repos ou d'étude. Les extérieur·e·s venaient surtout pour les AG, mais une partie des étudiant·e·s de l'université sympathisant·e·s de l'occupation sans vraiment y participer la soutinrent par de généreux dons en nourriture, produits d'hygiène, vêtements et couvertures, mais en ne s'attardant que rarement dans l'amphi.

Pour les réfugié·e·s ce fut l'occasion de nouer de vrais liens d'amitié avec les étudiant·e·s et d'échanger sur leurs expériences au pays ou en voyage, offrant parfois de bien meilleurs cours en géopolitique que ceux proposés par l'université. Les plus impliqué·e·s d'entre eux dans l'occupation développèrent un attachement particulier à l'amphi C et ne cachaient pas leur admiration pour ce qui s'était construit ici.

La question de la festivité de l'occupation et plus précisément de la présence d'alcool prit rapidement de l'importance lors des AG. Par automatisme, les premières soirées furent arrosées de pas mal de bière et parfois d'alcool forts, avec chez certain·e·s étudiant·e·s ce sentiment qu'il fallait fêter l'événement. Il apparut assez vite que la présence d'alcool était pourtant hautement problématique, non seulement à cause de la présence d'enfants dans l'amphi, mais aussi à cause des conséquences de l'ébriété chez les réfugié·e·s, beaucoup toujours traumatisé·e·s de leur voyage. Des hommes saouls ont ainsi provoqué à plusieurs reprises des disputes et des bagarres, parfois en pleine nuit au milieu des dortoirs. Malgré la prévention d'extérieurEs et d'étudiant·e·s, d'autres occupants insistèrent pour conserver la possibilité de boire de l'alcool dans l'amphithéâtre, justifié par le besoin de garder un esprit de fête. Les débordements allant de mal en pis, l'alcool fut tout de même officiellement banni, même si certain·e·s continuèrent d'en boire dans l'enceinte de l'université ou de s'y présenter saoul·e. Il aurait pu être bon de rappeler que la lutte contre l'alcoolisme fut un combat central du milieu ouvrier7, et que les réfugié·e·s, certain·e·s en étant de détresse extrême, ont d'autant plus de mal à s'en protéger.

Les étudiant·e·s restaient pour la plupart conscient·e·s de la fragilité de l'occupation et faisaient de leur mieux pour conserver cet improbable havre de paix relative. En parlant avec les réfugié·e·s, en les écoutant et en les aidant dans leurs démarches et leurs luttes, beaucoup d'étudiant·e·s se trouvèrent une passion pour la lutte politique, souvent plus orientée vers les problématiques migratoires que vers les réformes universitaires.

Parmi les extérieur·e·s on retrouve également des professeur·e·s venu·e·s soutenir l'occupation de différentes manières : en participant aux AG, en donnant des informations sur les décisions secrètes de la présidence, en organisant une cagnotte entre profs dont on ne verra l'argent que des mois plus tard. Certain·e·s s'impliquèrent plus franchement dans l'occupation avec une présence régulière et des tentatives de rallier les syndicats autour de l'amphi C.

Santé mentale et physique des occupants

La santé fut un enjeu important de l'occupation car une telle promiscuité propageait vite les maladies et les troubles mentaux. Fort heureusement le pire problème de santé que nous ayons subi a été une petite épidémie de grippe. Cependant, l'épuisement mental des réfugié·e·s et, rapidement, des étudiant·e·s a lourdement pesé sur les dernières semaines à l'amphi. S'investir sans compter chaque jour dans ses cours ou son travail puis dans l'occupation le soir et le week-end n'est pas viable sur le long terme, et plusieurs occupant·e·s régulièr·e·s disparurent par besoin de prendre de la distance. Le patriarcat ne connaissant aucune frontière, les agressions sexistes subies par des étudiantEs en ont fatigué plusieurs qui, même avec la mise en place d'un dortoir non-mixte pour femmes, ont eu du mal à continuer de s'impliquer autant qu'au début de l'occupation.

Sans suivi médical et psychologique des demandeurs et demandeuses d'asile, les étudiant·e·s étaient la seule oreille à qui iels pouvaient se confier lorsqu'iels se sentaient mal, mais avec toute l'empathie du monde nous n'étions pas suffisamment formé·e·s à leur fournir un accompagnement psychologique. Au fur et à mesure des nuits blanches à se ressasser le voyage, la Libye et l'impasse française, certains deviendront violents et ingérables, un réfugié fera même une crise d'anxiété après plusieurs nuits sans pouvoir dormir et finira aux urgences. Malgré cela, les groupes restèrent toujours solidaires pour les soutenir, en se recommandant mutuellement de prendre du repos, en prenant le relai de certaines tâches ou en emmenant des camarades dormir chez eux quelques soirs.

Luttes parallèles

forum lyon 2

— Ya des fascistes ici ? Nous en Somalie on a plus les fascistes, on les a tous tués. Boum boum, ciao.

Dès le premier soir de l'occupation l'idée était communément partagée que la lutte des réfugié·e·s et des étudiant·e·s se ferait en commun et qu'ainsi chacun bénéficierait du soutien de l'autre, par une inédite convergence des luttes dont nous n'avions qu'à démontrer la force. Durant les AG s'organisèrent alors les deux fronts : il y avait des banderoles contre la sélection à la fac et contre le mépris de la préfecture, des tracts pour les étudiant·e·s et des tracts pour les demandeurs d'asile, et les communiqués unissaient le plus souvent les deux luttes. Il y eu des manifestations réclamant des papiers pour tou·te·s, des blocages filtrants pour informer les étudiant·e·s des mesures néolibérales du gouvernement. On effectua un important travail d'autoformation sur les lois autour des réfugié·e·s et des sans-abris, ainsi qu'une conférence décortiquant l'IDEX et ses conséquences sur l'université.

Est-ce que nous surestimions notre énergie ? Sommes-nous capable de lutter pour nous et pour l'autre avec la même implication ? Sans doute que oui, et donc que non. Beaucoup d'entre nous ne semblaient pas s'imaginer que l'occupation durerait plus de quelques jours, deux semaines au maximum. La préfecture n'allait tout de même pas rester les bras croisés face à une situation aussi critique et à une réunion politique aussi hostile ! C'est douter de sa perversité car la tactique employée pour détruire le mouvement fut vraisemblablement celle de l'attente : retarder les RDV entre occupant·e·s et institutions, les délais de décision de justice, les informations sur les procédures en cours. À l'amphi C cette stratégie était particulièrement efficace car nous vivions dans une urgence épuisante et les journées à attendre nous assommaient tous. En effet la cause des réfugié·e·s demandait sensiblement plus d'implication de la part de tou·te·s, entre les accompagnements à la préfecture, l'autoformation sur le droit d'asile, l'accueil des mineur·e·s isolé·e·s et en général la logistique permanente des conditions matérielles des occupant·e·s, si bien que la lutte contre la sélection à l'université pris assez rapidement du retard, avant d'être quasiment absente les deux dernières semaines.

De plus la situation délicate des réfugié·e·s fut un frein au folklore d'occupation, beaucoup d'étudiant·e·s étaient critiques sur les tentatives de certain·e·s de zbeulifier le campus par des tags et actions contre la présidence. Cette dernière comprit d'ailleurs très vite qu'elle pouvait garder la face vis à vis des autres universités en arborant un soutien de façade toujours entièrement tourné vers les réfugié·e·s et sans jamais prendre en compte les revendications des étudiant·e·s. Elle se servit des actions commises par les étudiant·e·s uniquement pour faire entendre qu'elles menaçaient la pérennité de l'occupation et donc des réfugié·e·s. En effet, si nous n'avions que peu de choses à perdre en voulant perturber le fonctionnement de la fac pour organiser notre riposte politique, et à terme établir un blocage complet de l'établissement, les réfugié·e·s risquaient quant à elleux de perdre le seul endroit chauffé qu'il leur restait pour dormir dans l'hiver glacial de Lyon, ce qu'iels exprimèrent assez vite au cours des AG. Rapidement débordé·e·s et épuisé·e·s, les étudiant·e·s laissèrent peu à peu la lutte politique pour la survie de l'occupation et le soutien aux réfugié·e·s, plus ou moins inconsciemment ou bien tout à fait à contre cœur.

Pour clore cette partie, on peut noter que les syndicats et partis politiques seront globalement absents de l'occupation, le cœur des occupant·e·s étant constitué majoritairement d'étudiant·e·s soit non-militant·e·s soit autonomes. Les symboles politiques utilisés se cantonneront surtout à des références antifascistes et liées aux ZAD. Si certains soutiens de syndicats étudiants sont publics, leur militants se présenteront assez peu pendant l'occupation et toujours sans mandat. L'UNEF sera, comme à son habitude, totalement absente. La CGT Vinatier, pourtant a priori moins concernée par les questions étudiantes et migratoires, proposera de l'aide matérielle et l'animation de moments de soutien.

Conclusion

L'organisation en autogestion d'une communauté de groupes si hétéroclites est plus compliquée qu'imaginé. Pris·e·s dans l'urgence permanente des événements, les occupant·e·s n'ont pas vraiment réussi à établir d'équilibres dans les rapports entre les groupes et les genres représentés qui soit en accord avec leurs positions politiques. La lutte politique fut étouffée par le besoin inexorable de maintenir un lieu d'accueil aux réfugié·e·s, au moyen d'une stratégie omnisciente de déstabilisation de ses acteurs venant de tous les ennemis politiques intervenants, en réduisant l'occupation à un sursaut humanitaire voire caritatif d'étudiant·e·s idéalistes.

J'espère que personne ne tirera de ce rapport un jugement ou des reproches sur tel ou tel acteur ou groupe car ce n'est en aucun cas ce qui est souhaité : cette occupation fut une expérience dont on peut tirer, en plus de la magie de l'événement que l'on n'a toujours pas fini d'intégrer, de nombreuses informations stratégiques pour organiser les prochaines luttes : ni la préfecture ni la présidence d'une université n'est notre alliée, mais leur faire ouvertement front n'est pas sans conséquence. Les problèmes soulevés ici n'enlèvent rien de la profonde beauté de cette détermination dans la solidarité, et je suis convaincu que chacun d'entre nous en a retiré une formation politique incroyable ainsi que de précieux souvenirs surpassant de loin ce qui nous fit défaut.

Quelques jours avant d'être expulsé définitivement de l'université, un groupe de militant·e·s réquisitionne un bâtiment vide pouvant loger plus d'une cinquantaine de personnes : l'aventure continue à l'amphi Z.

fête des lumières


Autres articles d'occupants sur l'amphi C :

L'amphi C dans la presse :

Crédits photos : étudiant·e·s (Romane, Sarah), extérieur·e·s, TS/Rue89Lyon, n'hésitez pas à demander si vous souhaitez être crédité.


  1. https://jucticeetmedecine.wordpress.com/les-tests-osseux-peu-fiables-et-pourtant-massivement-utilises/ 

  2. http://www.infomie.net/spip.php?article4080&lang=fr 

  3. http://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/france/2017/11/15/une-politique-dinvisibilisation 

  4. https://rebellyon.info/home/chroot_ml/ml-lyon/ml-lyon/public_html/IMG/jpg/dtltm5kxcaa8fpa.jpg 

  5. https://idexitlyon.wordpress.com/ 

  6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_Jean-Moulin-Lyon-III#Historique_de_l'université 

  7. http://www.critique-sociale.info/1232/le-mouvement-ouvrier-anti-alcool-une-lutte-contre-lalienation/